En tant qu'éditeur du Cyberlexis (1),
je reçois souvent des e-mails écrits par de nouveaux venus sur le
réseau, pleins d'enthousiasme, qui me demandent: «Comment puis-je
faire pour devenir un hacker accompli?» Curieusement, jusqu'à présent,
il semble qu'il n'existait aucun site Web consacré à cette
question essentielle. Cette lacune est désormais comblée avec le
document que voici.
Qu'est-ce qu'un hacker ?
Le Cyberlexis contient un tas de définitions du
terme «hacker», dont la plupart portent sur des choses telles que
l'habileté technique et le plaisir de résoudre des problèmes et dépasser
les limites. Cependant, si vous voulez savoir comment devenir
un hacker, il n'y a que deux définitions pertinentes.
Il existe une communauté - une culture partagée -
de programmeurs chevronnés et de sorciers des réseaux dont
l'histoire remonte, à travers les décennies, aux premiers
mini-ordinateurs multi-utilisateurs et aux premières expériences
d'ARPAnet (2).
Les membres de cette communauté ont inventé le terme «hacker». Ce
sont les hackers qui ont construit Internet. Ce sont les hackers qui
ont fait du système d'exploitation Unix ce qu'il est aujourd'hui. Ce
sont les hackers qui font marcher Usenet (3)et
le World Wide Web. Si vous appartenez à cette culture, si vous
avez contribué à son élaboration et si d'autres personnes qui en
font partie vous connaissent et parlent de vous comme d'un «hacker»,
alors vous êtes un hacker.
L'état d'esprit du hacker ne se limite pas à
cette culture des hackers de logiciels. Il y a des gens qui étendent
la notion de «hacker» à d'autres domaines, tels que l'électronique
ou la musique - à dire vrai, on en trouve des exemples au plus haut
niveau dans toutes les sciences et dans tous les arts. Les hackers de
logiciels se reconnaissent une parenté avec ces esprits et les
appellent parfois, eux aussi, des «hackers» - et pour certains la
nature du hacker est réellement indépendante du média particulier
dans lequel il opère. Mais dans la suite de ce document, nous nous
limiterons aux aptitudes et à l'état d'esprit des hackers de
logiciels, ainsi qu'aux traditions de la culture commune qui a donné
naissance au terme «hacker».
Il existe aussi un groupe de gens qui prétendent
être des hackers mais n'en sont pas. Ce sont des gens (il s'agit
surtout d'adolescents de sexe masculin) qui prennent leur pied en
s'introduisant dans les ordinateurs et en piratant le réseau téléphonique.
Les véritables hackers appellent ces gens des «crackers» et ne
veulent avoir aucun rapport avec eux. Les véritables hackers considèrent
en général que les crackers sont paresseux, irresponsables et pas si
brillants que ça ; ils leur objectent qu'il ne suffit pas d'être
capable de briser des codes de sécurité pour être un hacker, de même
qu'il ne suffit pas d'être capable de faire démarrer une voiture volée
pour être un ingénieur du secteur automobile. Malheureusement, un
bon nombre d'auteurs et de journalistes se sont fait avoir et
confondent les crackers avec les hackers (4),
ce qui a le don d'irriter profondément ces derniers.
La différence fondamentale est la suivante: les
hackers construisent ce que les crackers détruisent.
Si vous voulez devenir un hacker, poursuivez la
lecture de ce document. Si vous voulez devenir un cracker, allez sur
le forum de discussion alt.2600 (5)et
préparez-vous à purger une peine de cinq à dix années de prison
après avoir découvert que vous n'étiez pas aussi malin que vous le
croyiez. C'est tout ce que j'ai à dire sur les crackers (6).
L'état d'esprit du hacker
Les hackers résolvent des problèmes, ils
construisent, et ils croient en la liberté et en l'assistance
mutuelle bénévole. Pour être crédible en tant que hacker, vous
devez vous comporter comme si cet état d'esprit était le vôtre. Et
pour vous comporter de cette façon, vous devez réellement y croire.
Mais si vous pensez qu'il suffit de prendre la pose
du hacker pour se faire reconnaître au sein de cette culture, vous
vous trompez complètement. Il est important pour vous de
devenir le genre de personne qui croit en ces choses-là - vous
apprendrez mieux et vous resterez motivé. Comme dans le domaine des
arts créatifs, le moyen le plus efficace de devenir un maître est
d'imiter les maîtres - pas seulement sur le plan intellectuel, mais
en ressentant les choses de la même façon qu'eux.
Si vous voulez devenir un hacker, il vous faut donc
répéter les formules suivantes jusqu'à ce que vous en soyiez bien
convaincus :
1. Le monde est plein de problèmes fascinants en attente
d'une solution.
C'est très amusant d'être un hacker, mais c'est
un plaisir qui demande beaucoup d'efforts, et l'effort suppose de la
motivation. Les bons athlètes sont motivés par l'espèce de
jouissance qu'ils éprouvent à faire fonctionner leur corps et à dépasser
leurs limites physiques. De la même façon, pour être un hacker, il
faut éprouver du plaisir à résoudre les problèmes, à développer
ses compétences et à exercer son intelligence.
Si vous n'êtes pas spontanément amateur de ce
genre de choses, il vous faudra le devenir, car c'est une condition nécessaire
pour être un bon hacker. Sans quoi votre énergie sera détournée
par des distractions telles que le sexe, l'argent et la reconnaissance
sociale.
(Il vous faudra aussi acquérir une sorte de foi
dans votre propre aptitude à apprendre - la conviction que, même si
vous ne possédez pas toutes les connaissances nécessaires à la résolution
d'un problème, vous pouvez l'attaquer morceau par morceau, en
apprenant progressivement à résoudre les problèmes les uns après
les autres, et ainsi de suite jusqu'à la fin.)
2. On ne devrait jamais avoir à résoudre un problème deux
fois.
Les cerveaux créatifs sont une ressource précieuse
et limitée. Il ne faut pas les gaspiller en leur faisant réinventer
la roue alors qu'il y a tant de nouveaux problèmes fascinants qui
attendent d'être examinés.
Pour agir en hacker, vous devez croire que le temps
de réflexion des autres hackers est précieux - si précieux que
c'est presque un devoir moral pour vous de partager l'information, de
résoudre les problèmes et de faire connaître les solutions, de façon
à ce que d'autres hackers puissent résoudre de nouveaux problèmes
sans devoir sans cesse reprendre les anciens.
(Vous ne devez pas croire que vous avez
l'obligation de diffuser ainsi toute votre production
intellectuelle, bien que les hackers qui le font soient ceux qui sont
les plus respectés par les autres hackers. Il n'est pas incompatible
avec les valeurs des hackers de vendre sa production intellectuelle
pour avoir de quoi se nourrir, payer son loyer et ses ordinateurs.
Vous pouvez tout à fait utiliser vos talents de hacker pour fonder
une famille, voire pour vous enrichir, dès lors que vous n'oubliez
pas que vous êtes un hacker.)
3. L'ennui et les corvées sont de mauvaises choses.
Les hackers (et les gens créatifs en général) ne
devraient jamais s'ennuyer ou devoir se livrer à des corvées
stupides et répétitives, car pendant ce temps ils ne font pas ce
qu'ils sont les seuls à savoir faire: résoudre de nouveaux problèmes.
Ce gaspillage est nuisible à la collectivité tout entière. En conséquence,
l'ennui et les corvées sont des choses non seulement déplaisantes,
mais véritablement nuisibles.
Pour agir en hacker, vous devez en être tellement
convaincu que vous aspirerez à automatiser le plus possible les tâches
ennuyeuses, pas seulement pour vous faciliter la vie mais pour que
tout le monde (et tout particulièrement les autres hackers) en
profite.
(Il y a, en apparence, une exception. Les hackers
font parfois des choses qui peuvent sembler répétitives ou
ennuyeuses à un observateur.Elles leur servent en fait d'exercice
pour se changer les idées, acquérir une compétence ou une expérience
qu'il serait impossible d'avoir autrement. Ils agissent ainsi par
choix - jamais aucune personne sachant penser ne devrait être
contrainte de s'ennuyer.)
4. La liberté est une bonne chose.
Les hackers sont naturellement anti-autoritaires.
Quiconque peut vous donner des ordres pourra vous empêcher de résoudre
les problèmes qui vous fascinent.étant donné la façon dont les
esprits autoritaires fonctionnent, ils s'arrangeront toujours pour le
faire, sous les prétextes les plus stupides. Il vous faut donc
combattre le comportement autoritaire partout où vous le rencontrez,
de crainte qu'il ne vous réduise au silence.
(Ce n'est pas la même chose que de combattre toute
autorité, quelle qu'elle soit. Les enfants doivent être éduqués et
les criminels neutralisés. Un hacker peut accepter certaines formes
d'autorité s'il s'agit d'obtenir quelque chose qui a plus de valeur
que le temps passé à suivre des ordres. Mais c'est là une
transaction limitée et volontaire; le genre d'abandon personnel que
les autoritaristes réclament n'est pas négociable.)
Rien n'est meilleur pour les autoritaristes que la
censure et le secret. Ils se méfient de la coopération volontaire et
du partage de l'information - ils n'aiment la «coopération» que
lorsqu'ils la contrôlent. Ainsi, pour agir en hacker, vous devez
devenir instinctivement hostile à la censure, au secret et à
l'emploi de la force ou de la tromperie contre des adultes
responsables. Et vous devez agir en conformité avec cette conviction.
5. L'état d'esprit ne remplace pas la compétence.
Pour être un hacker, vous devez acquérir l'état
d'esprit qui vient d'être décrit. Mais adopter un état d'esprit ne
suffira pas davantage à faire de vous un hacker qu'une vedette du
sport ou une rock star. Pour devenir un hacker, il faut de
l'intelligence, de la pratique, du dévouement et un travail acharné.
Il vous faudra donc vous méfier de la posture et
n'accorder de prix qu'au talent, dans quelque domaine que ce soit. Les
hackers n'ont pas de temps à perdre avec les poseurs, mais ils
admirent la compétence - non seulement chez les hackers, mais en tout
ce qui est bon. La compétence dans des domaines difficiles que peu de
gens maîtrisent est particulièrement appréciée.La meilleure de
toutes est la compétence dans des domaines qui demandent de la
perspicacité, du savoir-faire et de la concentration.
Si vous vénérez la compétence, vous adorerez en
faire preuve vous-même - le travail acharné et le dévouement
deviendront une sorte de jeu intense et non une corvée. C'est
indispensable pour devenir un hacker.
Les aptitudes de base du hacker
Un hacker doit avoir un certain état d'esprit,
mais il est encore plus indispensable d'avoir des aptitudes. L'état
d'esprit ne remplace pas la compétence, et vous devez posséder un
certain nombre d'aptitudes minimales, sans quoi jamais les hackers ne
vous considèreront comme un des leurs.
Les aptitudes requises évoluent, car la
technologie en crée constamment de nouvelles et rend les anciennes
obsolètes. Par exemple, il était autrefois indispensable de savoir
programmer en langage-machine, alors que la nécessité du HTML (7)n'est
apparue que récemment. à ce jour, les aptitudes qu'il faut
indiscutablement posséder sont les suivantes :
1. Apprenez à programmer.
C'est là, évidemment, la qualité fondamentale
pour un hacker. Si vous ne connaissez
aucun langage informatique, je vous recommande de commencer avec Python
(8).
Il est clairement conçu, bien documenté, et relativement facile pour
les débutants. Bien qu'il s'agisse d'un bon langage de départ, ce
n'est pas un jouet ; il est très puissant, adaptable à toutes sortes
de situations, et on peut l'utiliser pour de grands projets.
Mais attention! Vous n'atteindrez pas le niveau
qu'on attend d'un hacker, voire d'un simple programmeur, si vous ne
connaissez qu'un seul langage - vous devez apprendre à penser les
problèmes de programmation de façon générale, indépendamment de
tout langage. Pour être un véritable hacker, vous devez avoir
atteint le niveau où il vous est possible d'apprendre un nouveau
langage en quelques jours en rapportant ce que dit le manuel à ce que
vous connaissez déjà. Vous devez donc apprendre à maîtriser
plusieurs langages très différents.
Si vous vous lancez sérieusement dans la
programmation, il vous faudra apprendre le langage C, qui est le
langage d'Unix (9)(mais
ce n'est pas ce langage-là qu'il faut essayer d'apprendre en
premier). Parmi les autres langages particulièrement importants pour
les hackers, il y a Perl et Lisp. Perl mérite d'être appris pour des
raisons pratiques : il est très largement utilisé pour les pages Web
actives et la gestion de systèmes ; même si vous n'écrivez jamais
en Perl, il vous sera utile de savoir le lire. Lisp mérite d'être
appris car sa connaissance approfondie est une expérience très éclairante,
qui fera de vous un bon programmeur pour le restant de vos jours, même
si vous n'utilisez jamais beaucoup le langage Lisp lui-même.
Le mieux est de les apprendre tous les quatre :
Python, C, Perl et Lisp. Outre qu'il s'agit des langages les plus
importants pour les hackers, ils représentent des approches très
diverses de la programmation, et chacun d'eux vous sera profitable.
Je ne peux donner ici d'instructions complètes sur
l'apprentissage de la programmation - c'est une affaire complexe. Mais
je peux vous dire qu'on n'y arrive pas en lisant des livres et en
suivant des cours (beaucoup de hackers, et peut-être la plupart des
meilleurs d'entre eux, sont des autodidactes). Pour y parvenir, il
faut :
1° lire en code
2° écrire en code.
On apprend à programmer comme on apprend à écrire
correctement dans une langue naturelle. La meilleure façon d'y
arriver est de lire des programmes écrits par les maîtres du style,
d'écrire un peu vous-même, d'en lire beaucoup, d'écrire un peu,
d'en lire beaucoup, d'écrire un peu... et ainsi de suite jusqu'à ce
que votre écriture commence à acquérir le même genre de force et
d'économie que celle de vos modèles.
Il était autrefois difficile de trouver de bons
programmes à lire, car il n'y avait que fort peu de grands programmes
en code-source ouvert permettant aux hackers débutants de lire et de
s'exercer. Aujourd'hui, tout a changé ; les logiciels en code-source
ouvert, les outils de programmation, les systèmes d'exploitation
(tous construits par des hackers) sont désormais largement
disponibles. J'en arrive donc au point suivant :
2. Procurez-vous un des Unix qui
sont en code-source ouvert, apprenez à vous en servir et à le
faire fonctionner.
Je pars du principe que vous possédez un
ordinateur personnel ou que vous pouvez en utiliser un - tout est si
facile pour les gosses d'aujourd'hui :-)) (10).
La chose la plus importante qu'un nouveau-venu puisse faire pour acquérir
les aptitudes d'un hacker est d'obtenir une copie de Linux ou d'un des
Unix de BSD (11),
de l'installer sur sa machine personnelle et de le faire tourner.
Bien sûr, il existe d'autres systèmes
d'exploitation qu'Unix dans le monde. Mais ils sont diffusés en code
binaire - on ne peut ni lire le programme ni le modifier. Il est aussi
vain de vouloir apprendre à bidouiller sur une machine DOS ou Windows
ou sous MacOS que d'essayer d'apprendre à danser en ayant tout le
corps dans le plâtre.
En outre, Unix est le système d'exploitation
d'Internet. On peut apprendre à se servir d'Internet sans connaître
Unix, mais on ne peut être un hacker d'Internet si on ne comprend pas
Unix. C'est pourquoi la culture des hackers d'aujourd'hui est
principalement centrée sur Unix. (Cela n'a pas toujours été le cas,
et certains hackers à l'ancienne n'en sont pas très contents, mais
la symbiose entre Unix et Internet est devenue si solide que même
Microsoft, avec toute sa puissance, ne paraît pas capable de
l'entamer sérieusement.)
Alors, installez Unix - j'apprécie personnellement
Linux, mais il y a d'autres manières de procéder (au fait, oui, vous
pouvez faire tourner Linux et DOS/Windows sur la même machine).
Apprenez-le. Faites-le tourner. Exercez-vous dessus. Servez-vous en
pour communiquer avec Internet. Lisez le programme. Modifiez-le. Vous
obtiendrez des outils de programmation (y compris C, Lisp, Python et
Perl) meilleurs que tout ce que vous pourriez rêver d'obtenir sur les
systèmes d'exploitation de Microsoft, vous vous amuserez, et vous
vous imprégnerez de plus de connaissances que vous ne le croyez,
jusqu'à ce qu'un jour vous vous aperceviez que vous êtes devenu un
maître hacker.
Pour en savoir plus sur Unix, voir The
Loginataka (12).
Pour mettre la main sur un exemplaire de Linux,
voir Where can I get Linux (13).
3. Apprenez à vous servir du World Wide Web et a
écrire en HTML.
La plupart des choses auxquelles la culture hacker
a donné naissance fonctionnent de façon invisible et servent à
faire tourner des usines, des bureaux et des universités, sans avoir
un impact évident sur la vie des non-hackers. Le Web constitue la
grande exception, puisque même les politiciens admettent que ce grand
jouet brillant des hackers est en train de changer le monde. Rien que
pour cette raison (et pour de nombreuses autres tout aussi bonnes),
vous devez apprendre à travailler avec le Web.
Il ne s'agit pas seulement d'apprendre à manipuler
un navigateur, mais d'apprendre à écrire en HTML, le langage à
balises hypertextuelles du Web. Si vous ne savez pas programmer, le
fait d'écrire en HTML vous donnera quelques habitudes intellectuelles
qui vous aideront à apprendre. Construisez donc votre propre page
personnelle (home page).
Mais le fait d'avoir une page personnelle ne vous
donnera en aucune façon la capacité de devenir un hacker. Le Web
fourmille de pages personnelles. La plupart d'entre elles sont
totalement inutiles - de la daube sans aucun contenu, bien présentée,
certes, mais de la daube bien présentée reste toujours de la daube
(pour en savoir plus, voir The HTML hell (14)).
Pour être valable, votre page doit avoir du
contenu - elle doit être intéressante et/ou utile pour les autres
hackers. Ce qui nous amène au point suivant :
Comment devenir quelqu'un dans le
monde des hackers
Comme la plupart des cultures sans économie monétaire,
celle des hackers se fonde sur la réputation. Vous essayez de résoudre
des problèmes intéressants ; mais seules les personnes qui vous sont
techniquement égales ou supérieures sont à même de juger de l'intérêt
réel de ces problèmes et de la qualité des solutions que vous
proposez.
Par conséquent, si vous voulez jouer au hacker, il
vous faudra apprendre à compter les points en fonction de ce que les
autres hackers pensent de vos aptitudes (c'est pourquoi vous ne
deviendrez vraiment un hacker qu'à partir du moment où les autres
hackers vous considéreront définitivement comme tel). Ce fait est
masqué par l'image des hackers, censés opérer dans la solitude,
ainsi que par un tabou culturel (actuellement en déclin, mais encore
puissant) des hackers eux-mêmes, qui refusent d'admettre que le
narcissisme ou la validation extérieure puissent faire partie de
leurs motivations.
Le monde des hackers correspond exactement à ce
que les anthropologues appellent une culture du don. Votre
statut et votre réputation ne découlent ni de votre capacité à
dominer d'autres personnes, ni de votre beauté, ni du fait que vous
possédez des choses que d'autres désirent, mais bien plutôt de
votre capacité à donner, et plus précisément à donner votre
temps, votre créativité et les résultats de votre talent.
Les choses que vous pouvez faire
pour gagner le respect des hackers se répartissent en cinq catégories
principales :
1. écrire des programmes de
logiciels en code-source ouvert.
L'action la plus fondamentale et la plus
traditionnelle consiste à écrire des programmes que d'autres hackers
considèrent comme amusants ou utiles, et à en diffuser les
codes-source gratuitement, pour que tous les hackers puissent s'en
servir.
(C'est ce qu'on avait pris l'habitude d'appeler les
«logiciels libres», mais cela entraînait des confusions, car
beaucoup de gens ne savaient pas exactement de quoi il était
question. Beaucoup d'entre nous préfèrent aujourd'hui employer
l'expression «logiciels en code-source ouvert».)
Les véritables demi-dieux du monde des hackers
sont les gens qui ont écrit des programmes de grande capacité, répondant
aux besoins les plus répandus, et qui les ont diffusés gratuitement,
si bien qu'aujourd'hui tout le monde les utilise.
2. Contribuer à tester et à déboguer (15)les
logiciels en code-source ouvert.
Il est également utile d'aider à déboguer les
logiciels en code-source ouvert. Dans ce monde imparfait, nous sommes
condamnés à consacrer une bonne partie de notre activité de développeurs
de logiciels à déboguer ces derniers. C'est pourquoi tous les
auteurs de logiciels en code-source ouvert un peu sensés vous diront
que les bons bêta-testeurs (16)(ceux
qui sont capables de décrire les symptômes clairement, de bien
localiser les problèmes, de tolérer qu'il y ait des bugs dans un
logiciel vite diffusé, et qui veulent bien appliquer quelques procédures
de diagnostic simples) valent leur pesant d'or. Il suffit d'un seul
d'entre eux pour que la phase de débogage cesse d'être un long et épuisant
cauchemar et devienne simplement une corvée salutaire.
Si vous êtes novice, essayez de trouver un
programme en phase de développement qui vous intéresse et d'en être
un bon bêta-testeur. Le passage se fera tout naturellement des tests
au débogage, et de ce dernier à la correction des programmes. Vous
apprendrez beaucoup en procédant de la sorte, et vous aurez de bonnes
relations avec les gens qui vous aideront par la suite.
3. Diffuser des informations utiles.
Il est bon, en outre, de rassembler et de sélectionner
des informations utiles et intéressantes, et de les diffuser le plus
largement possible grâce à des pages Web ou à des documents tels
que les FAQ (listes de «questions souvent posées» [Frequently
Asked Questions]).
Ceux qui s'occupent des principaux FAQ à contenu
technique obtiennent quasiment autant de respect que les auteurs de
logiciels en libre-accès.
4. Contribuer à maintenir
l'infrastructure en état de marche.
Le monde des hackers (et par conséquent le développement
technique d'Internet) est peuplé de bénévoles. De nombreuses tâches
nécessaires mais sans gloire doivent être exécutées pour qu'il
aille de l'avant : tenir à jour des listes pour des mailings, animer
des forums de discussion, gérer de grands sites d'archivage de
logiciels, développer des RFC [Requests For Comment: «demandes de
commentaires»] et d'autres normes techniques.
Ceux qui mènent ces travaux à bien sont très
respectés, car tout le monde sait que ce sont des corvées dévoreuses
de temps, bien moins amusantes que la rédaction de programmes. Il
faut de l'esprit de sacrifice pour s'y consacrer.
5. Contribuer au développement de
la culture des hackers.
Enfin, vous pouvez contribuer à propager la
culture des hackers elle-même, par exemple en écrivant un manuel
intitulé: Comment devenir un hacker :-)). Pour en arriver là, il
vous aura fallu acquérir pas mal d'expérience et vous faire connaître
par l'une des quatre méthodes qui précèdent.
Il n'y a pas de chefs, à proprement parler, dans
le monde des hackers, mais il a son culte des héros et des anciens de
la tribu, ses historiens et ses porte-parole. Quand vous aurez
accompli suffisamment d'exploits, vous deviendrez peut-être l'un
d'eux. Mais attention: les hackers se méfient de l'autosatisfaction
chez les anciens de la tribu; il est donc dangereux de rechercher
ostensiblement à acquérir ce genre de statut. Plutôt que de faire
des efforts dans ce sens, il vaut mieux que votre position vous le
fasse «tomber naturellement dans votre escarcelle».Vous pourrez
ainsi rester modeste et sans prétention.
Les hackers sont-ils des paumés ?
Contrairement à un mythe répandu, il n'est pas nécessaire
d'être paumé pour être un hacker. Cela facilite néanmoins les
choses, et beaucoup de hackers sont en réalité des paumés. La
marginalité sociale aide à rester concentré sur les choses vraiment
importantes, telles que penser et bidouiller.
C'est pourquoi nombre de hackers se présentent
volontiers comme des «paumés», et ils se qualifient même avec
fierté de «débiles» [geeks] (voyez The Geek note 17pour
plus de détails) : c'est pour eux une manière de déclarer qu'ils
sont en dehors des attentes sociales ordinaires.
Si vous arrivez à vous concentrer suffisamment sur
le bidouillage pour devenir un bon hacker et continuer à avoir une
vie, bravo. C'est beaucoup plus facile aujourd'hui que dans les années
soixante-dix, quand j'étais un débutant.De nos jours, la culture
ordinaire est beaucoup moins éloignée de celle des techno-paumés.
Il y a même de plus en plus de personnes qui considèrent que les
hackers font souvent d'excellents amants et de très bons époux. Pour
en savoir plus, voyez le Girl's Guide to Geek Guys [«Guide des
mecs débiles à l'usage des filles»].
Si vous êtes attirés par le genre de vie des
hackers parce que vous n'avez pas de vie, ce n'est pas un problème
non plus - au moins vous n'aurez pas de mal à vous concentrer. Peut-être
en aurez-vous une plus tard.
Remarques sur le style
Pour devenir un hacker, il va vous falloir acquérir
l'état d'esprit des hackers. Vous pouvez vous livrer, quand vous n'êtes
pas sur un ordinateur, à certaines activités qui peuvent vous
familiariser avec cet état d'esprit. Elles ne remplacent pas le
bidouillage (rien ne le remplace), mais beaucoup de hackers s'y
adonnent, car ils sentent qu'elles ont, de quelque façon, un rapport
essentiel avec la pratique des hackers.
- Lisez de la science-fiction. Allez aux
conventions de science-fiction (c'est une bonne manière de rencontrer
des hackers et des proto-hackers).
- étudiez le zen, pratiquez les arts martiaux. (La
discipline mentale requise a beaucoup de points communs avec celle des
hackers.)
- Développez votre oreille musicale. Apprenez à
apprécier des genres particuliers de musique. Apprenez à bien jouer
d'un instrument ou à bien chanter.
- Développez votre sens des calembours et des jeux de mots.
Plus vous pratiquerez ces activités, plus vous
serez à même de devenir un bon hacker. La raison pour laquelle ces
activités-là s'y prêtent mieux que d'autres n'est pas tout à fait
élucidée, si ce n'est qu'elles mettent en jeu à la fois les
aptitudes de la partie gauche et de la partie droite du cerveau, ce
qui a, semble-t-il, son importance (les hackers doivent être capables
de raisonner logiquement, tout en sachant sortir instantanément de la
logique apparente d'un problème).
Voici enfin quelques choses à ne
pas faire :
- N'utilisez pas un pseudonyme ou un nom de code
idiot ou grandiloquent.
- Ne prenez pas parti dans les querelles qui se déroulent
sur Usenet (ni où que ce soit d'autre).
- Ne vous qualifiez pas de «cyberpunk (18)»,
et ne perdez pas votre temps avec ceux qui le font.
- N'envoyez pas de lettres ou d'e-mails pleins de
fautes d'orthographe et de grammaire.
En agissant ainsi, la seule réputation que vous
vous ferez est celle d'un crétin. Les hackers ont la mémoire longue
- il vous faudra peut-être des années pour remonter la pente et vous
faire accepter.
Informations complémentaires
Peter Seebach s'occupe d'un excellent Hacker FAQ (19)destiné
aux managers qui ne comprennent pas comment il faut s'y prendre avec
les hackers.
Le Loginataka comporte de bons conseils sur les
aptitudes et l'attitude que doit avoir un hacker d'Unix.
J'ai écrit une Brève histoire des hackers (20).
Je suis également l'auteur d'un article, «La Cathédrale et le Bazar»
(21),
qui explique pas mal de choses sur la façon dont fonctionne le monde
de Linux et des logiciels en code-source ouvert. Ce sujet est développé
encore plus précisément dans l'article intitulé «à la conquête
de la noosphère».
Quelques questions fréquemment posées
Q : Allez-vous m'apprendre à être un hacker ?
R : Depuis que j'édite cette page Web, des gens me
demandent plusieurs fois par semaine de leur «apprendre tout ce qu'il
faut savoir pour être un hacker ». Malheureusement, je n'ai ni le
temps ni l'énergie pour le faire ; mes propres bidouillages me
prennent 110 % de mon temps.
Et quand bien même j'essaierais de le faire, on ne
peut enseigner une attitude et une aptitude qu'il faut apprendre à
acquérir par soi-même. Vous vous apercevrez que les vrais hackers ne
demandent pas mieux que de vous aider, mais qu'ils ne vous
respecteront pas si vous leur demandez de vous nourrir à la petite
cuillère.
Commencer par apprendre quelques trucs. Montrez que
vous faites des efforts, que vous êtes capable d'apprendre par vous-même.
Alors, vous pourrez poser des questions précises aux hackers que vous
rencontrerez.
Q : M'aideriez-vous à bousiller un système ou
à savoir le faire?
R : Non. Quiconque pose encore ce genre de question
après avoir lu tout ce qui précède est vraiment un imbécile, et je
ne lui dirais rien, même si j'avais le temps de faire de la
formation. Chaque fois que je reçois un e-mail de ce genre, je
l'ignore ou j'y réponds avec la plus extrême grossièreté.
Q : Où puis-je trouver de vrais hackers à qui
parler?
R : La meilleure façon de s'y prendre est de
trouver un groupe d'utilisateurs d'Unix ou de Linux proche de chez
vous et d'aller à leurs réunions (vous trouverez des liens vers
plusieurs listes de groupes d'utilisateurs sur la page LDP chez
Sunsite).
Q : Quel langage dois-je apprendre pour
commencer?
R : HTML, si vous ne le connaissez pas déjà.
Alors qu'il existe beaucoup de mauvais livres qui prétendent vous
apprendre le HTML, les bons sont désespérément rares. Celui que je
préfère est HTML : the definitive guide.
Mais HTML n'est pas un langage complet de
programmation. Quand vous serez prêt à vous lancer dans la
programmation, initiez-vous à Python. Vous allez entendre beaucoup de
gens vous recommander Perl et, certes, Perl est encore plus répandu
que Python, mais il est plus difficile à apprendre.
Le langage C est vraiment important, mais beaucoup
plus difficile que Python ou Perl. N'essayez pas de l'apprendre en
premier.
Q : Les logiciels en code-source ouvert ne
vont-ils pas mettre les programmeurs sur la paille?
R : Cela paraît peu probable. Jusqu'à présent,
l'industrie des logiciels en code-source ouvert semble créer des
emplois plutôt qu'elle n'en supprime. Si le fait de posséder un
programme écrit représente un bénéfice net, un programmeur sera
payé, que le programme soit ou non diffusé gratuitement après sa
conception. Et, quel que soit le nombre de logiciels « libres » qui
apparaissent, la demande d'applications nouvelles et adaptées ne
cesse, semble-t-il, de croître. J'ai écrit sur ce sujet dans les
pages Open source.
Q : Comment démarrer ? Où trouver un Unix
gratuit ?
R : J'ai inséré ailleurs sur la version en ligne
de ce texte des pointeurs qui indiquent les Unix gratuits les plus
couramment utilisés. Pour devenir un hacker, il vous faut de la
motivation, de l'initiative et la capacité de vous auto-éduquer.
Commencez maintenant...